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Dernière trace...

Vous trouverez ci-dessous la copie exacte de la lettre retrouvée dans l'une des chambres de l'internat du lycée où ils séjournaient tous les quatres.

7 mai 2048

 

À l’intention de l’administration du lycée et de l’équipe enseignante,

 

Nous ne pensions pas, il y a quelques mois, quand nous avions surpris cette conversation entre des agents d’entretien du lycée, que cela nous conduirait à une telle situation ni à un choix aussi radical.


La conversation roulait sur un sujet qui, semble-t-il, excitait leur intérêt depuis quelques temps : il existe dans les sous-sols du lycée trois piscines datant de l’époque de Napoléon III. Elles ont été en service jusque dans les années 1960 avant d’être murées et enterrées. Un drame se serait produit dans l’un des bassins : l’un des enfants du Proviseur s’y serait noyé - dans des circonstances demeurées obscures. Les agents s’interrogeaient sur l’enchaînement d’événements qui avaient pu conduire à cet accident et se demandaient si un accès aux bassins demeurait, malgré tout, possible.


Notre curiosité avait été piquée ! Nous avons décidé de mener l’enquête. Pour cela, nous avons obtenu l’accès à la salle des Archives et nous avons également passé beaucoup de temps à consulter les ouvrages, parfois très vieux, qui sommeillaient sur les rayons de la Bibliothèque générale, au cœur du lycée. Il est étrange, d’ailleurs, que tout le monde parle de la « Bibliothèque » mais paraisse avoir oublié l’existence de ces rayons - tapis, il est vrai, dans la partie la plus obscure de la salle !


Un traité d’histoire naturelle, en particulier, a retenu toute notre attention. Nous y avons déchiffré, entre les lignes et les planches, un texte latin datant de la fin du 17° siècle. Il est de la main d’un des religieux du collège de Jésuites qui est à l’origine de l’actuel lycée. C’est une espèce de journal. Le religieux y raconte comment il avait apporté dans ses bagages un très ancien grimoire ; ses supérieurs ayant trouvé le livre dans la cellule et s’étant épouvantés des relents de paganisme et de sorcellerie qu’ils croyaient y voir, il fut sommé de le détruire publiquement par le feu. L’époque était à la réintroduction du culte catholique. On ne plaisantait pas avec ces choses-là.... Mais il a eu le temps, avant cet autodafé, d’en recopier de larges extraits et de consigner sous forme de code certaines de ses interprétations. Vous trouverez notre tentative de traduction dans une des chambres de l’internat.


Le temps passé dans la salle des Archives a également été fructueux. Nous pensons en particulier avoir découvert sur l’accident de la noyade des éléments nouveaux que nous ne pouvons pas rapporter dans le cadre de cette lettre mais qui mériteraient d’être publiés tant leurs conséquences pourraient être importantes. La découverte essentielle est toutefois liée au grimoire ; elle concerne un fait incroyable. Nous croyons que l’un des bassins est relié à un lac souterrain beaucoup plus ancien et que ce lac a abrité - et abrite peut-être encore - l’existence d’un griffon. Nous ne parlons pas d’une race de chiens, mais bien de cette créature « légendaire » souvent représentée avec le corps d’un aigle greffé sur l’arrière d’un lion et muni d’oreilles de cheval.


Il n’est plus temps de détailler le cheminement qui a conduit à cette conviction ni de chercher à justifier la démarche que nous allons entreprendre. Il est peu probable, du reste, qu’elle serait comprise. Peu importe, après tout. Sans doutes sommes-nous fous... Mais le monde ne l’est pas moins que nous. Soyons clairs. Voilà des mois que la situation empire de jour en jour, que notre environnement se disloque. Le virus semble impossible à contenir. Chacun de nous a déjà ressenti dans son corps les effets du grand bouleversement. On peut bien s’interroger sur la valeur de la Raison et du Savoir quand on constate ce que notre monde est devenu et combien les « experts », au cours des dernières décennies, se sont montrés impuissants à passer des analyses à l’action.


On ne cesse de nous répéter que nous poursuivons des chimères. Nos familles, la société, l’école... Alors, pourquoi pas un griffon ? Cette forme de vie, si elle existe, nous viendrait des mondes les plus anciens, d’un passé immémorial. Nous pressentons confusément qu’elle incarne pour nous une dernière chance de survivre, d’une manière ou d’une autre, à ce qui nous arrive.


Dans quelques heures, munis de l’équipement et des vivres nécessaire, nous allons descendre dans les galeries techniques du lycée puis rejoindre les bassins. Nous savons, pour avoir effectué un repérage, qu’il existe des brèches et des passages. Après, nous verrons...

Un monde est en train de finir. Il ne nous reste plus que la sincérité de nos questions.

Qu’est-ce qui nous anime, au fond ? Qu’étions-nous venus chercher entre les murs d’un lycée ? Et s’il fallait chercher cela sous les dalles, dans des profondeurs encloses ?

La classe de Khâgne

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